mardi 3 novembre 2015

Retour vers le tempo


Dans Be Kind Rewind, sympathique film de Michel Gondry, Alma nous explique que le temps d'attention du spectateur moyen devant un film est de vingt minutes : au-delà, il faut relancer son intérêt ou il décroche.
Le sens du rythme est crucial pour y parvenir. Un bon timing dans le montage et l'écriture, ça permet d'amorcer et désamorcer un gag tout comme une scène dramatique. Le tempo du film déplace l'objet de l'attention, le fait disparaître ou le travestit, pour éveiller la curiosité.
Comme dans Retour vers le Futur, par exemple.

Ah, la trilogie Retour vers le Futur de Roberto ZEMECKIS...
(Je sais qu'il s'appelle Robert en vrai, mais je trouve que Roberto c'est plus rigolo, je l'imagine habillé en mariachi avec une moustache et un sombrero, en sifflotant Power of Love de Huey Lewis & The News. L'image s'est bien implantée dans votre tête ? Bien, alors commençons.)

Je pense qu'une grande majorité des gens de ma génération (c'est-à-dire les djeun's qui passent leur vie sur leur téléphone déconnectés de la réalité, du moins c'est comme ça que l'imaginent les vieux, ceux-là même que nous imaginons toujours prompts à nous casser les couilles au supermarché pour griller la queue) une majorité des gens de ma génération, donc, ont vu Retour vers le Futur au moins une fois, ne serait-ce que le premier épisode. Vous vous en souvenez ? Un teenager des années 80 avec un gilet sans manches traîne avec un savant fou inoffensif qui a inventé - par accident, en s'explosant la tronche sur la cuvette des chiottes, va donc te rhabiller Archimède - un convecteur temporel qu'il a balancé dans une DeLorean, parce que quitte à voyager à travers le temps au volant d'une voiture, autant en prendre une qui ait de la gueule, n'est-ce pas ?


Le 21 octobre 2015 étant, dans les films, la date de passage de Marty McFly dans le futur ("il s'agit de vos enfants ! Il faut faire quelque chose à propos de vos enfants!") on a pu voir fleurir un peu partout sur les internets une foule d'hommages à la série allant des mèmes à la con à la vidéo de philo. Le meilleur étant sans doute cet évènement facebook bourré de blagues à l'attention des spectateurs attentifs (mention spéciale à "Michael Jackson toujours vivant", truc de bâtard).
Trente ans après : jour de célébration, occasion idéale de se retaper la trilogie chez soi (ou au cinéma !) et de s'émerveiller devant ces mêmes idées de scénario qu'on a déjà vues un million de fois mais qui nous paraissent toujours aussi bien trouvées.

Mais comment ça se fait-il que ça marche si bien dites donc ?
Voilà donc trente ans qu'on glose de-ci de-là sur le sujet (sauf Libé qui avait paraît-il descendu le film à l'époque) : Spielberg à la production, humour intelligent, ambiance 80 assez bien dosée pour devenir vintage de nos jours, acteurs remplis de pep's (mot qui n'est plus utilisé depuis 1645), une avalanche de bonnes idées , et aussi peut-être le fait que le duo Zemeckis-Gale est déjà vétéran à l'époque de l'écriture scénaristique.

Et donc le sens du rythme, tellement crucial pour retenir l'attention du spectateur, voire même le faire vibrer, est un facteur très important dans la réussite de ce film : il est excellemment dosé, efficace et discret. On se fait balader sans réfléchir.
J'ai dit plus haut (il y a à peine cinq secondes les mecs, franchement quoi, suivez un peu) que Robert Zemeckis et Bob Gale avaient une longue expérience derrière eux de l'écriture scénaristique (et Robert avait déjà fait quelques films mais essentiellement des gros bides, sacré Robert !). Le film en lui-même repose en grande partie sur toutes ses idées d'écriture, sa variété de ton (passant du "ta mère veut coucher avec toi, comme c'est cocasse" au "par contre tu vas disparaître de la réalité et ton père va rester puceau, allez salut"), son humour qui joue sur les différentes époques et les personnages qui, bien que très simples, restent bien croqués et rafraîchissants.
Un gros travail d'écriture donc, et qui mêle finalement pas mal de choses avec différents niveaux d'humour, liés aux différentes époques... C'est copieux. Et sur le papier ça pourrait très facilement se barrer dans tous les sens.
C'est le jeu subtil sur le rythme, la répétition et le contre-temps, qui permet de tenir toute cette structure ensemble dans une narration facile à comprendre et "qui passe crème", comme disent les djeun's (saloperie de djeun's !).

(Et puis c'est aussi ça qui nous fait oublier que les intrigues temporelles sont, comme souvent, incohérentes. Genre, comment ça se fait que les parents de Marty ne se souviennent pas de lui quand il revient en 1985 ? Et puisqu'il a changé le présent de manière bénéfique concernant ses parents, est-ce que ça n'a pas changé ses fréquentations et donc sa rencontre avec Doc, annulant par là même son voyage dans le temps ? Si Biff a essayé de violer la mère de Marty, comment se fait-il que son père l'ait gardé comme larbin trente ans après au lieu de, genre, porter plainte/le tuer/le garder à distance de sa femme ? Comment sa fait-il que le vieux Biff puisse parler avec le jeune Biff alors que Doc dit que cela peut endommager le tissu même de l'univers ? HEIN ?? TU PEUX RÉPONDRE A CA ROBERT ???
Revenons à nos moutons.)

Le film est un exemple de la narration ultra-efficace : elle est bourrée de détails et de rebondissements, ce qui excite le cerveau du spectateur qui peut se gaver, sans pour autant qu'elle soit confuse.

La continuité des trois films se compose à la manière d'un thème musical : le même motif (la famille de Marty et celle de son antagoniste) se répète avec d'infimes variations, ce qui permet au spectateur de reconnaître ce qu'il a déjà vu tout en s'amusant des nouveauté. Toujours la même bagarre dans le coffee shop, toujours le même purin, toujours un pseudonyme à la con pour Marty McFly. C'est comme si les événements se répétaient à l'infini. Étrange pour un film qui traite de voyage dans le temps.

Zemeckis a réussi a faire d'une intrigue sur le voyage dans le temps (souvent traitée en SF de manière assez sérieuse et dramatique) un moment drôle, frais et sans conséquence, où la rencontre avec son alter ego plus jeune de trente ans ne se solde pas par la destruction de l'univers mais simplement par l'évanouissement. Où un vieil original lunatique a réussi là où les plus grands physiciens ont échoué, simplement en accrochant une horloge (et en chourant de l'uranium à des terroriste lybiens). Où on prend connaissance de son avenir parce que, finalement, "on s'en balance".
Pour ça, Zemeckis a lui aussi joué avec le temps. Il l'a façonné, découpé, dilaté, à travers l'écriture et le montage, pour faire de notre voyage temporel un trajet agréable, mais aussi fou, drôle, et aventureux.
Savoir façonner le rythme d'une histoire peut lui donner vie, comme l'acte de fixer une horloge au-dessus du trône rend possible d'aller là où y a pas besoin de route... ça te la coupe, hein ?


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